Ernest Pignon-Ernest – Série « Epidémies », Naples

Pour Ernest Pignon-Ernest, la rue n’est pas qu’une source d’inspiration. Avec son « potentiel poétique, dramatique, suggestif », la rue est la matière première de l’oeuvre d’art ! Pionnier du street-art (1), l’artiste niçois colle ses dessins, depuis 40 ans, sur les murs du monde entier. Les corps qu’il représente sont souvent magnifiés ou bien humiliés, martyrisés, en souffrance. Mais « l’oeuvre d’art, ce n’est pas mon dessin, » explique-t-il. « C’est ce qu’il provoque dans le lieu ! »

En 1988, l’artiste se rend à Naples. La proximité de la ville avec la mort l’inspire. Depuis l’antiquité, les éruptions du Vésuve et les épidémies déciment sa population. Au fil des siècles, leurs cadavres s’entasseront dans les cavités souterraines de la ville. Les murs de Naples portent la mémoire de ces tragédies humaines. C’est ce passé enfoui dans la pierre que Pignon-Ernest veut faire remonter à la surface par ses dessins… Mais pas n’importe où. Il choisit ses murs à partir de leur texture, leur couleur, leur « potentiel dramatique »… Si bien qu’une fois collée, l’image semble née du lieu lui-même !

Ce porche sombre s’intègre parfaitement à la façade. Deux silhouettes fantomatiques, dont un mourant, s’y engouffrent. S’enfoncent-ils sous la ville, là où Virgile, il y a deux mille ans, situait le purgatoire…? Le linge, la sensualité morbide du corps… Tout ici évoque les peintures napolitaines témoignant des grandes pestes du 17ème siècle. Y compris la main fragile du mourant qui traîne sur des dalles de lave volcanique. Son contact avec cette pierre noire, symbole de mort, exacerbe l’intensité dramatique du lieu.

Dérouté par ce trompe-l’oeil, le regard des passants est d’autant plus troublé que cette image est collée dans la nuit du jeudi saint, à Naples. Dans un contexte de religiosité et de superstition très fortes ! De quoi bouleverser l’appréhension du lieu par les passants. De quoi leur signifier que la réalité d’un mur ce n’est pas juste ce qu’on en voit. C’est aussi sa densité d’âme… Décloisonner un lieu de sa seule réalité plastique. N’est-ce pas aussi le rôle de l’art ?

(1) : l’art urbain est né dans les années 60. Il prend la rue comme son terrain d’expression.

 

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