Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte – Georges Seurat

Situé sur la Seine, au nord-ouest de Paris, l’île de la Grande Jatte est, à la fin du 19ème siècle, un lieu prisé des Parisiens en villégiature. Le dimanche, la petite bourgeoisie vient y faire du canot, de la pêche, y dîne et danse dans d’élégantes guinguettes.

Comme Manet ou Zola, Seurat choisit une scène de promenade pour témoigner de la société de son temps. Près de 48 personnages, aux détails parfois insolites, peuplent cette scène : Au premier plan, un canotier coiffé d’une casquette de jockey et fumant la pipe; un dandy avec sa canne et son costume de rigueur; une garde-malade trapue, identifiable à son couvre chef en forme de turban; plus loin un sonneur de cor coiffé d’un casque colonial croisant deux soldats en goguette.

Georges-SeuratQuelle: Art Institute of Chicago

Grâce à la méthode pointilliste (encadré), qu’il a mis au point, Georges Seurat accroît infiniment la vivacité des couleurs de son tableau. L’atmosphère n’en est que plus estivale et invite à la nonchalance. Et pourtant… C’est sans volupté que ces petits bourgeois sacrifient à la rituelle promenade du dimanche. Réunis par le sentiment d’appartenir à la même classe sociale, ils sont indifférents les uns aux autres. Seurat en fait des êtres passifs, seuls, qui n’existent que par le raffinement ostentatoire de leurs tenues à la mode. Raides comme des mannequins, ils se livrent à une parade sociale quelque peu ridicule tant leur élégance étriquée est inappropriée aux lieux.

Cette satire de la mode atteint son apogée avec cette bourgeoise (à droite) accompagnée d’un élégant boulevardier. En exagérant le « pouf » de sa « tournure » (1), celle-ci marque plus ostensiblement encore son rang… Au point d’en paraître suspecte. La présence insolite du singe qu’elle tient en laisse, sème davantage le doute : Dans l’argot de la fin du 19ème siècle, une « singesse » est, en effet, une prostituée. Par ailleurs, le singe est symbole de luxure… S’agit-il d’un couple de bourgeois en promenade, ou d’un souteneur et d’une « cocotte » (2) endimanchés ? Quoiqu’il en soit, l’habit apparaît ici comme le marqueur de classe suprême. Celui qui permet, le cas échéant, de se promener sur l’échelle social… Et de tricher.

(1) En exagérant le faux-cul de sa robe
(2) Prostituée entretenue

Encadré :
Chez les impressionnistes, la perception des couleurs dans la lumière est suggérée de façon empirique. Dans le pointillisme, la perception des couleurs se fait selon le système des complémentaires. Son principe premier est que le mélange de deux couleurs sur la palette leur fait perdre de leur intensité à chacune. Leur mélange se fera dans le cerveau. Par conséquent, il faut déposer les couleurs l’une à côté de l’autre, en partant du principe que l’oeil humain perçoit mieux une couleur si elle est éclairée par sa complémentaire : Une petite dose de violet rend un jaune plus jaune. Une petite dose de rouge près d’un vert rend le vert plus vert…

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