La peinture du 17ème siècle aime à dépeindre le peuple besogneux des paysans et des artisans. Un goût qu’exprime d’abord la peinture hollandaise et flamande, où l’on voit représentés de laborieux forgerons, serruriers, tisserands, bouchers concentrés sur leur ouvrage. (Voir les gravures Jan Joris Van Vliet). Cet engouement gagne toute l’Europe : En Espagne, par exemple, Diego Velasquez peint La Forge de Vulcain (1630). En France, les frères Le Nain aime à représenter avec simplicité le quotidien des « humbles ». Et La Forge reste l’un de leurs plus grands chefs-d’oeuvre.
Nous sommes ici dans l’atelier d’un maréchal-ferrant. Plutôt sombres, les bordures du tableau encadrent le foyer ardent de la forge, lequel donne vie à cette scène d’intérieur. Les représentations de forge sont nombreuses à l’époque. Toutes utilisent cette palette de couleur restreinte, où dominent le rouge et le jaune. Mais là où se distinguent les frère Le Nain, c’est dans leur virtuosité à peindre avec justesse, vérité, les effets de lumière du feu sur la scène. Observez le forgeron et la femme, appréciez sur leurs visages l’empreinte chaude du feu de la forge et le rendu subtil des taches d’ombres. Notez aussi ses reflets sur leurs vêtements : Sur le forgeron, l’éclat du feu fait virer le rouge à l’orange. Sur le buste de la femme, les blancs rougeoient. Pour mesurer la maîtrise du clair-obscure par les frères Le Nain, comparez La Forge avec L’intérieur de forgeron, de Cornelis Gerritsz, (1644) ou avec L’intérieur de forgeron de Gabriel Metsu, (1657).
Mais la singularité majeure de cette fratrie de peintres parisiens réside surtout dans le sujet. Ainsi, les artistes hollandais aiment-ils dépeindre l’activité bouillonnante d’une forge. Or, dans La Forge, c’est l’humanité des sujets qui prime. Rien ne semble pouvoir perturber ici le calme qui habite les personnages de La Forge. Tourné hors de la composition, le regard du vieillard, assis à droite, est songeur, comme égaré dans la contemplation de sa propre vie intérieure. Le forgeron, lui, semble avoir été distrait de son fourneau, bien qu’il garde une main sur sa pièce à forger. Il se retourne et fixe le spectateur, comme si celui-ci s’était brusquement introduit chez lui. Son regard étincèle d’intelligence. À ses côtés, une femme se tient les avant-bras, dans une attitude d’humilité bienveillante. Le temps semble semble s’être arrêté, laissant régner le silence, à peine troublé par le crépitement du feu de la forge. Un silence qui nous fait entrer au plus profond de ces êtres, nous fait méditer sur le secret de leurs pensées.
On a souvent accolé aux frères Le Nain l’étiquette de « peintres des pauvres gens ». La pauvreté est-elle le trait le plus marquant de ce tableau ? Sans jamais forcer l’humanité de leurs personnages, ces artistes nous donnent plutôt à voir des êtres honnêtes, à l’authentique bonhomie. Une bonhomie, certes, enveloppée de « mélancolie triste », mais qui inspire plus de tendresse et d’empathie que de compassion. Sans doute, parce que, même marquée par le dénuement, une vie de labeur donnera toujours sa dignité à l’homme.