Ce mâle presque nu, au centre de la toile, attire tous les regards… Pourtant, il n’aurait jamais du se trouver là. Jusqu’au 20e siècle, il n’était pas convenable qu’une femme peigne autre chose que des portraits et des natures mortes. En représentant cette scène mythologique, en plein 16e siècle, l’artiste bruxelloise violait plus d’un interdit. En plus de s’attaquer au tableau d’histoire, genre le plus noble, elle peint la nudité masculine, ce qu’aucune femme n’osa faire avant elle !
Le cortège de Bacchus était un sujet fréquemment traité par les peintres baroques. Après avoir conquis les Indes, raconte le mythe, Bacchus s’en revient triomphalement sur un char rutilant. Il s’entoure alors de satyres, de nymphes, de centaures qui chantent, dansent, s’enivrent, badinent… Chez les peintres flamands, le dieu du vin a souvent des allures de fêtard obèse. Chez les Italiens, celles d’un bel éphèbe aux traits délicats. Le Bacchus de Michaelina Wautier est, lui, un impressionnant gaillard. Encore jeune, mais déjà bedonnant, il est avachi, tête en arrière, abreuvé en jus de la vigne. Mais ce qui distingue cette représentation d’autres versions, c’est surtout sa liberté de ton. Ici et là, la peintre a glissé quelques clins d’oeil critiques à la société de son temps :
Ainsi, voit-on une femme jouer des castagnettes. Cet instrument, encore jamais représenté dans une bacchanale, évoque bien sûr l’Espagne, dont Bruxelles était alors une possession. Mais cette évocation festive prend un tour très ironique quand on découvre l’individu encapuchonné qui s’est glissé tout près d’elle. Il vient aussi d’Espagne, mais lui ne semble pas beaucoup s’amuser. Discret, il écoute, prend des notes… C’est la figure du mouchard, du censeur envoyé par l’inquisition, laquelle sévit terriblement à l’époque. À gauche, voilà qu’un chien aboie avec fureur, prêt à planter ses crocs dans le mollet le plus proche. Sans doute, veut-il alerter ces joyeux drilles du danger qui les guette !
Bacchus, lui-même, n’est pas épargné dans ce tableau, plus proche de la parodie que d’un hommage au dieu du vin. Ce dernier est ici clairement moqué. A-t-on jamais vu le dieu sorti de la cuisse de Jupiter vautré dans une brouette ? Ainsi affalé, ce Bacchus permet à l’artiste de railler le travers des hommes, leur penchant pour la boisson et la déchéance qu’il entraîne. Cette pique contre les soûlards de tout poil n’a pas empêché la peintre de s’inviter à la fête. En témoigne cette nymphe blonde en tunique rose, au sein dénudé (à droite). C’est Michaelina Wautier, elle-même. En regardant le spectateur dans les yeux, elle reprend une tradition des peintres italiens remontant au 14e siècle. Une façon audacieuse de signer son oeuvre !